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« La vie culinaire » est incontestablement une sorte d’exception sur la planète internet dite « gourmande ». Connu des amateurs qui se délectent des enquêtes finement menées par son auteur et ne ratent aucune miette de ses révélations ou de ses commentaires, ce blog qui publie peu est aussi pour beaucoup un vrai mystère. Qui se cache derrière Romain R. – alias Romain Redouin – ? Qu’est-ce qui le motive ? Cet entretien lève le voile sur un personnage étonnant dont le travail mérite d’être salué.

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Vous êtes l’animateur d’un site au nom improbable lavieculinaire2.wordpress.com et malgré ça, vous êtes parvenu à être le poil à gratter de la gastronomie française. Pourquoi avoir choisi ce nom si difficile à retenir ? Est-ce pour publier à l’abri des regards ?

R.R – Tout d’abord je voudrais vous remercier de vous intéresser à mon travail et de le faire connaitre auprès de votre public !  Pour en revenir à votre question, j’ai commencé ce blog il y a un peu plus de deux ans simplement parce que je désirais d’abord mettre sur papier ce que j’avais observé dans mon métier, mais également pour pouvoir m’entrainer à écrire, ce qui n’est pas chose simple quand ce n’est pas ce pour quoi on est fait. J’ai donc pris le premier nom qui me passait par la tête dans la mesure où cela ne me semblait pas d’une importance capitale. Il n’y avait par conséquent aucune volonté de me mettre à l’abri des regards mais simplement de ne pas attacher trop de temps et d’importance à des questions de formes qui n’ont d’intérêt que pour ceux qui publient dans un but quasi exclusivement lucratif (qui ne me dérange pas par ailleurs).
Vous signez vos enquêtes « Romain R » mais le public sait peu de choses de vous ? D’où venez-vous ? Quel est votre parcours ? Quelle est votre légitimité ?

R.R- Bonne question puisqu’il est toujours important de savoir d’où parlent les gens pour comprendre leur point de vue ! Comme vous le faisiez remarquer dans un de vos récents articles, je suis effectivement pâtissier, bien qu’ayant commencé par un apprentissage en cuisine et en dessert de restauration. Après quoi je suis parti pour Paris, un court passage en Savoie, le pays basque, Paris encore avant de traverser la Manche pour aller vivre à Londres pendant 8 ans et de revenir il y a peu chez moi ! J’ai un parcours assez diversifié qui m’a mené aussi bien dans des étoilés Michelin que des brasseries, restaurants saisonniers, des pâtisseries boutiques ainsi que des hôtels. Ma légitimité ? Ele n’est pas moins importante ni plus à justifier que certains critiques gastronomiques qui jugent sans connaitre (ou par amitié), certains cadres qui se reconvertissent restaurateurs, ou certains cuisiniers qui montent sur scène pour faire des spectacles humoristiques !

« La double éthique des grands chefs »

Quand on parcourt votre blog, on y trouve toute une série d’articles généralement très fouillés, très documentés et bien argumentés qui dénoncent d’une certaine façon les petites et grandes magouilles qui touchent le monde de la gastronomie. Qu’est-ce qui vous dérange le plus ? Qu’est-ce qui vous motive ?

R.R- Ce qui me dérange le plus, je dirais que c’est probablement cette double éthique presque inhérente à ceux qu’on appelle aujourd’hui les grands chefs. Cette capacité inouïe – pour ne prendre qu’un exemple – à montrer du doigt des petits restaurateurs – ou même des chaines – qui n’utilisent pas que des produits frais lorsqu’on a soi même sur sa veste une flopée de sponsors de l’industrie agroalimentaire. Ce qui revient à attaquer d’un coté ce qu’on a soi-même aidé à développer de l’autre !  Ce qui me motive, c’est d’essayer de comprendre ce que cela signifie d’être un grand chef de nos jours.
Les affaires que vous soulevez sont multiples. Quelle est l’enquête qui vous a demandé le plus de travail ?

R.R- Deux articles en fait qui sont liés. Le premier sur le Slow Food et Carlo Petrini et le deuxième sur Alain Ducasse et son concept de Naturalité. Les deux traitent de la subversion de l’écologie par le mondialisme et ce n’est pas un hasard si ces deux personnages collaborent sur des projets communs !
Quelle est celle qui vous a valu le plus de réactions ?

R.R- Le plus de réactions je ne sais plus, mais la réaction qui m’a le plus marqué est celle d’un ancien candidat de Top Chef et homme sandwich de Nespresso – que je ne nommerai pas – qui après mon article sur cette marque de café m’avait envoyé un message pour me remercier en me disant que cela lui donnait de quoi méditer pour la nouvelle année. Inutile de rappeler que personne ne tient ses bonnes résolutions de début d’année et quelques mois plus tard, il se retrouvait encore plus mis en avant par son sponsor !
Quelle est votre méthode d’investigation ? Vous met-on parfois sur des pistes ?

R.R- La lecture et la recherche de documents officiels pour l’essentiel. Mais étant du métier et ayant travaillé pour certains grands chefs, il m’est assez facile de trouver des renseignements.


Avez-vous subit des pressions, des menaces, des tentatives de séduction intéressées ?

R.R- Pas que je m’en souvienne. Mais comme vous le savez mon blog reste assez confidentiel et il faut être réaliste, je ne représente pas un danger pour les intérêts économiques des grands chefs, puisque c’est principalement de cela qu’il est question !
Il semble que vous vous soyez fait une spécialité de dénoncer les réseaux, les petits arrangements entre amis : en quoi pervertissent-ils le monde de la gastronomie ?

R.R- Nos grands chefs prétendent toujours parler au nom de tous les acteurs de la gastronomie afin de servir le bien de tous : petits restaurateurs, artisans, commis de cuisine etc. Ils essaient de donner une impression d’ouverture sur les autres et de partage. Pourtant, dans les faits, ces derniers agissent presque tout le temps dans des groupes réservés aux seuls grands chefs. Prenez l’exemple du Collège Culinaire de France et son label Restaurant de Qualité. Un label de professionnels qui distribuent les bons et mauvais points aux autres professionnels de la restauration. Un petit restaurateur soucieux de son travail, respectueux des produits mais qui ne rêve pas d’étoiles en se rasant le matin peut-il espérer avoir ce label restaurant de qualité ? Probablement, si un grand chef membre du collège culinaire consent à reconnaitre son labeur. Mais est-ce que ce professionnel de la restauration pourra demain intégrer le bureau de ce Collège Culinaire ? Probablement pas, il n’est pas « professionnellement » qualifié pour intégrer ce groupe puisque le Michelin n’a pas consenti à en faire un membre de la caste des élus.

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Ne craignez-vous pas d’être montré du doigt un jour comme un apôtre du complot systématique ?

R.R- Comme je l’ai écrit dans mon article sur Top Chef, les complots sont par nature des projets cachés au grand public, alors qu’ici, au contraire, c’est sous nos yeux que nos grands chefs dévoilent leurs travers symptomatiques !

Vous n’épargnez pas les grands chefs, mais pas non plus certains journalistes célèbres : tous copains, tous coquins ?

R.R- Quand un célèbre journaliste, auteur d’un livre noir sur la gastronomie dans lequel il s’en prenait aux chefs soumis aux diktats de l’industrie agroalimentaire, se retrouve à faire le jury pour un concours culinaire organisé par Panzani afin d’inciter les cuisiniers de la restauration commerciale à créer des plats pour cette même industrie on peut effectivement se poser la question ! Prenez sinon l’exemple de Périco Légasse qui s’en prend régulièrement au guide The world 50 best restaurant. Les années précédentes Légasse nous expliquait – non sans raison – que ce guide était simplement « une opération organisée par la revue britannique The restaurant magazine pour le compte de San Pellegrino, filiale de Nestlé, en vue de promouvoir la cuisine créative faisant appel aux nouvelles technologies et aux additifs chimiques mis au point et commercialisés par le groupe suisse ». Pourtant, il y a quelque jours, lors sa tirade annuelle contre les résultats de ce guide, ce dernier laisse penser le contraire nous expliquant que Nestlé, « pourtant informé des dérives et des irrégularités de ce qui ressemble davantage à de la propagande politique qu’à une sélection de bonnes tables »,  aurait tout intérêt à ne plus « s’associer avec ces gens » [les dirigeants du Restaurant Magazine]. Comment passe-t-on en l’espace de quelques années d’une critique qui nous explique que le guide est une simple émanation du groupe Nestlé créé dans le but de servir ses intérêts financiers à un article qui prétend que Nestlé, informé (par qui ?) des dérives du guide, aurait tout intérêt à ne plus le financer ?  Il est intéressant de noter qu’entre ces deux articles, la fondation Nestlé est devenu le parrain de la nouvelle émission de Légasse, « Manger c’est voter » ! Est-ce que ceci est de nature à nous expliquer ce léger changement ? Je vous laisse y répondre…

« La gastronomie est un milieu très mondain qui se regarde un peu le nombril »

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Vous avez dénoncé récemment quelques dérives dans l’organisation de l’émission Top Chef. Que reprochez-vous exactement à cette émission ?

R.R- A vrai dire, c’était la première année que je regardais ce programme. J’ai trouvé qu’il reproduisait assez fidèlement le fonctionnement des cuisines de grands chefs : mise en scène de son propre personnage, favoritisme à peine masqué (voir assumé), idéologie du « struggle for life » caché par un soi-disant esprit de groupe, mais surtout on aborde de façon totalement décomplexée la collaboration avec des grandes marques industrielles.
Que pensez-vous de la presse gastronomique en général ? Et plus globalement du traitement de la gastronomie dans les médias ?

R.R- Je lis très peu de revues de la presse gastronomique. Je ne vous apprendrais pas que le milieu de la gastronomie est un milieu très mondain qui se regarde beaucoup le nombril. Ces dernières années on bouffe de la gastronomie à toute heure et en tout lieu : c’est qu’il y a une volonté évidente de se servir d’elle à des fins politiques.

Ne pensez-vous pas que le public ne veut pas toujours tout savoir… Le monde des grands le fait rêver et vous êtes une sorte de d’empêcheur de rêver en rond ?

R.R- Je pense plutôt qu’il commence à y avoir un certain agacement de la part de nombreux français vis-à-vis d’un monde dont ils sont finalement très éloignés dans leur vie quotidienne. Ca fait longtemps que les grands ne font plus rêver les gens ordinaires !

Savez-vous qui vous suit ? Echangez-vous avec vos lecteurs ?

R.R- Le format de mon blog ne me permet pas beaucoup de pouvoir échanger avec mes lecteurs. Pour y remédier j’ai donc ouvert une page Facebook et un compte twitter.

Avez-vous de nombreuses enquêtes en cours ?

R.R- J’avais commencé par les liens des grands chefs avec l’industrie agroalimentaire sans apporter grand-chose de nouveau puisque d’autres l’ont fait avant moi. Maintenant je continue avec ce qui me semble le plus important, c’est-à-dire la place des grands chefs comme acteurs de la société civile avec notamment deux piliers qui me paraissent essentiels : l’écologie, comme je le mentionnais plus haut ; l’éducation et la formation que j’ai très peu traité pour le moment mais que je prépare doucement. Après ceci, pourquoi pas un livre ou un roman sur l’univers de la gastronomie !

Quand vous ne vous consacrez pas à vos enquêtes que faites-vous ?

R.R- Je consacre en fait peu de temps à mes articles. D’abord je travaille, ensuite je m’occupe de ma vie privée, mes lectures, et quelques hobbies ici et là quand le temps me le permet.

 

Article de Périco Légasse il y a deux ans :

https://m.facebook.com/perico.legasse/posts/10200702294912690

Cette année:

http://www.marianne.net/pericolegasse/world-s-50-best-restaurants-fifa-du-ragout-moleculaire-100234212.html

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