Par lecoqgourmand
Chef triplement étoilé de l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern, Marc Haeberlin règne avec une modestie non feinte sur un véritable petit empire familial qui rayonne jusqu’au Japon ou trois maisons portent le nom de sa délicieuse auberge alsacienne.
LECOQ GOURMAND – Il est difficile en votre compagnie de ne pas évoquer la disparition de Paul Bocuse dont vous étiez un des proches…
MARC HAEBERLIN – C’est vrai, j’ai été formé chez lui et j’ai perdu comme un deuxième père. Monsieur Paul était très proche de la famille, il nous appelait toutes les semaines en cuisine pour avoir de nos nouvelles, moins la dernière année parce qu’il était souffrant bien-sûr… Je l’ai vu pour la dernière fois quelques jours avant sa mort à Collonges, il avait conservé tout son humour. C’était un homme qui adorait faire plaisir aux autres et pas seulement à ses clients. Il essayait de faire rayonner la joie de vivre, la bonne humeur et il aimait par-dessus tout passer un bon moment autour d’une table et d’un verre de vin.
L.G – Quelle est votre définition de la grande gastronomie française ?
M.H- C’est d’abord d’utiliser des bons produits qui viennent pour la plupart de France. C’est ensuite une très bonne cuisson et un bel assaisonnement, une bonne sauce ou un bon jus. C’est simple, mais ce sont les fondamentaux immuables de la grande cuisine française.
L.G- Vous y fêtiez l’an passé vos 50 ans de 3 étoiles Michelin : c’est naturellement une performance et c’est en plus pour vous un héritage. Vous revendiquez souvent cet héritage familial…
M.H – Mon père et mon oncle ont eues ces 3 étoiles en 1967 et nous avons la chance de les avoir conservés depuis. Mais ce n’est pas un acquit, on ne nous les donne que pour un an. Pour ce qui est de l’héritage à proprement parler, il est important dans la mesure où il porte des valeurs de transmission qui habitent une famille élargie à notre équipe, en cuisine comme en salle. Nous avons autour de nous beaucoup d’employés qui nous sont fidèles depuis 20 ou 30 ans, voire plus de 40 ans si l’on pense à notre sommelier Serge Dubs !
L.G- Cette histoire de famille est-elle amenée à se poursuivre en famille dans le futur ?
M.H – Certainement. Les enfants travaillent ici en cuisine comme salle : ma fille, mon neveu, ma nièce, mon neveu, mais aussi leurs époux et épouses respectifs, il y a aussi Maxime le fils de mon épouse s’occupe de la brasserie des Haras à Strasbourg : il y a du sang Haeberlin partout !
L.G- Votre établissement a évolué avec le temps, vous êtes restaurateur mais aussi hôtelier et également à la tête d’un spa. Les attentes de votre clientèle ont-elles également évoluées ?
M.H- Bien-sûr. Nous avons créé un hôtel il y a 23 ans et il y a un peu moins de deux ans nous y avons ajouté un très beau spa et quelques chambres supplémentaires parce cela correspondait à une attente. Autrefois, plus de 90% des séjours étaient d’une seule nuit : Aujourd’hui la clientèle s’attarde davantage avec des envies qui peuvent surprendre. A l’ouverture du spa par exemple, j’ai créé une carte simple pour le déjeuner avec des salades et des poissons grillés, mais j’ai vite constaté que ça n’était pas ce que nos visiteurs attendaient : ils veulent pouvoir déguster les plats de la carte gastronomique autour de la piscine. C’est donc une évolution. En cuisine, on a gardé les plats classiques que mon père a créé comme la mousseline de grenouille ou la truffe sous la cendre, mais nous proposons aussi toute une série de recettes qui évoluent en fonction de l’inspiration et de la saison et de l’envie. Les sauces ont été allégées, les cuissons ont été réduites. On est plus proche du gout, plus sensible à la mise en avant du produit et la mise en valeur du travail de l’éleveur, du pêcheur…
L.G – En plus de votre auberge, vous disposez d’une brasserie à Strasbourg et l’on vous retrouve à Lucerne et à Lausanne en Suisse ainsi que dans trois villes au Japon avec à chaque fois de belles maisons… Votre développement à l’étranger est-il amené à se poursuivre ?
M.H – Non, c’est fini et c’est déjà très bien comme ça. Pour le Japon, j’y suis allé dans le sillage de Paul Bocuse qui avait insisté pour que l’on s’y installe… Et cela se passe très bien. Les chefs qui travaillent là-bas viennent nous voir régulièrement en Alsace pour travailler sur de nouvelles recettes, revoir tel ou tel plat. Et c’est à travers la cuisine que nous parvenons à exporter au Japon un peu de l’esprit de notre maison.
L.G – Que vous évoque l’épicerie fine ?
M.H – Je pense tout de suite à ce mélange d’épices que nous faisons depuis plus de 50 ans pour notre foie gras. Nous le faisions faire en Alsace selon une recette bien précise élaborée à partir de 20 épices. Avant de mourir, le propriétaire du moulin à épices m’a téléphoné pour me dire qu’il se sentait mal et qu’il allait me renvoyer cette recette que naturellement nous avions perdu. Comme je n’ai trouvé personne en Alsace pour prendre la suite, j’ai demandé à Olivier Roellinger de bien vouloir s’en occuper… C’est lui qui aujourd’hui nous fournit tous nos épices.
L.G – Quel est le produit alsacien qui selon vous devrait avoir sa place en épicerie fine ?
M.H- Il y en beaucoup mais peut-être un auquel on ne pense pas souvent : le vinaigre Melfor dont la recette originale aura bientôt un siècle. C’est un vinaigre d’alcool de betterave, de miel et d’infusion de plantes qui présente un goût unique, pas trop acide. J’ai un ou deux plats où je tiens à ce qu’on l’utilise, notamment une salade de tripes et foie gras.
L.G – Avez-vous déjà été approché pour collaborer avec des producteurs d’épicerie fine ?
M.H – Oui, pour une moutarde mais cela ne c’est pas fait. On discute actuellement avec un confiturier alsacien qui voudrait faire un genre de chutney… Mais si je m’engage un jour ce sera avec une petite maison dans laquelle je peux avoir confiance, pas un grand groupe industriel qui ne permet pas de contrôler la qualité du produit.
Propos recueillis par Bruno Lecoq pour le magazine professionnel Le Monde de l’Epicerie Fine
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