Par lecoqgourmand
Immuable, droit dans ses bottes de caoutchouc et malgré la crise inédite, effroyable et mortifère qui frappe la restauration française de plein fouet, le guide Michelin a choisi de maintenir coute que coute son édition 2021. Et le 18 janvier dernier, c’est donc à une cérémonie un peu déprimante, enregistrée durant le week-end au restaurant Le Jules Vernes de la Tour Eiffel, que nous conviait l’équipe du guide animée par son directeur international Gwendal Poullennec. Affable, ce dernier s’est cru obligé de rappeler en préambule (comme si on ne le savait pas) que l’année 2020 avait été particulièrement éprouvante pour les restaurateurs et il a assuré qu’il en mesurait pleinement les difficultés. Manifestement, cela n’a rien changé dans l’absolu pour lui et son équipe qui, nous a-t-il dit, s’est montrée particulièrement motivée pour poursuivre sa mission avec la même intensité et les mêmes exigences que les années précédentes. En gros, il y aurait eu autant de visites. Et je ne sais pas s’il a cru qu’on le croyait, même cela tend à démontrer que chaque année en fait les visites sont rares.
Je me suis mal à l’aise devant cette plaidoirie d’agent commercial que j’ai trouvé gênante dans la bouche du responsable d’un guide comme le Michelin. Certes, je n’ignore pas que certains restaurateurs et chefs ont été sensibles à ce geste qu’ils considèrent opportun. Mais je ne partage pas ce point de vue. Comment ce monsieur peut-il s’imaginer un seul instant que la sélection 2021 du Guide Michelin va être un outil utile (je reprends les termes du communiqué de presse) et qu’elle va contribuer à la reprise ? Oh secours ! Utile quand tout est fermé ? Utile quand précisément tout cela ne sert à rien !!! Il ne pouvait donc pas attendre un peu pour que son opération de communication profite en effet aux heureux bénéficiaires : le nouveau trois étoiles le marseillais Alexandre Mazzia, les deux nouveaux 2 étoiles, La Merise à Laubach du chef Cédric Deckert en Alsace et Marsan-Hélène Darroze à Paris dans le 6e arrondissent ? Qu’elle soit utile encore aux 57 nouveaux étoilés qui rejoignent la grande famille des 638 établissements récompensés par le guide. L’actualité étant ce qu’elle est, c’est foutu pour eux. Quand ces restaurants réouvriront, plus personne ne se souviendra de cette édition qui, on peut l’imaginer, aura du mal à trouver des lecteurs en dehors des collectionneurs et des nostalgiques. Faisant le lien avec l’annonce par Clermont-Ferrand, quasiment dans le même temps, de la suppression de 2300 emplois mon confrère Jean-Claude Ribaut a qualifié cette cérémonie de pathétique.
Ce qui est sûr, c’est que ça n’est pas sérieux. Non seulement c’est inaudible, inutile mais en plus c’est d’une suffisance rare. Michelin fait de l’aqua-planning pour des raisons purement commerciales. Pas pour les ventes d’une édition dont je serais curieux de connaître le tirage, mais pour sauver les quelques contrats de partenariat avec notamment « the fork », autrement dit LaFourchette célèbre plateforme de réservation en ligne qui propose depuis peu dans sa sélection celle du Guide Michelin, soit environ 4.000 maisons. On a essayé de nous faire passer pour de l’empathie quelque chose de très étranger à l’empathie. J’exagère ? Je ne le crois pas. Le minimum, que l’on aurait pu attendre de ce palmarès mal venu, c’est qu’il ne corresponde qu’à des promotions ou des statu quo. Même ça, Michelin n’en n’a pas été capable. Pour s’en rendre compte, il a fallu fouiller puisque les noms des victimes ont été cachés par le service de presse qui d’ordinaire les communique en parfaite transparence. C’est le site Atabula qui s’en est rendu compte le premier en citant le nom de deux chefs qui sans raison apparente ont perdu leur étoile. A Corrençon-en-Vercors, le chef du Palégrié, Guillaume Monjuré est déclassé tout comme l’est Inaki Aizpitarte, chef du médiatique restaurant Chateaubriand situé à Paris dans le 11e. Il y en a malheureusement beaucoup d’autres. Et dans le contexte que chacun connait la perte d’une étoile est particulièrement mal venue. Cela démontre en tout cas le manque de dicernement de ce guide qui n’en finit plus de nous décevoir.
Bruno Lecoq
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