Par lecoqgourmand
Paul Bocuse s’est éteint ce matin et depuis, les hommages affluent des quatre coins du monde. On a du mal à mesurer combien ce chef qui n’était pas si à l’aise que ça devant une caméra de télévision était devenu de son vivant ce qu’il est convenu d’appeler une légende. Outre l’apport qui est le sien à la cuisine française, outre sa dominance indiscutée de 1970 aux années 90 – elle sera moins évidente après même si Paul Bocuse restait une autorité tutélaire pour l’ensemble de la profession (Les Bocuse d’Or, 50 ans de 3 étoiles Michelin…) et surtout ces dernières années où la maladie l’avait assagi.
Mais la statue du commandeur a su orchestrer son parcours du début jusqu’à la toute fin, et je serais même tenté de dire, en plaçant son fils Jérôme à la tête de ses affaires, pour quelques années encore. Les chefs l’ont dit, l’homme a changé la nature du métier en lui donnant le prestige que l’on connaît aujourd’hui, vis-à-vis de la clientèle, vis-à-vis de l’étranger, des médias.
Et c’est énorme. Fier d’avoir contribué à faire rayonner la France, fier de défendre une cuisine qui faisait du produit et des saisons ses principaux points de repère, Paul Bocuse avait fait ces derniers temps de son restaurant un musée vivant qui ne témoignait pas que d’une époque glorieuse mais surtout des valeurs qu’il entendait défendre jusqu’à son dernier souffle. Tout est dit actuellement sur ce personnage hors norme doté d’un sens de l’humour qui s’est perdu en cuisine où les grands chefs, crispés par les enjeux économiques et la férocité du moment, n’ont plus l’humeur à la galéjade. A la farce. A titre personnel, comme tous les journalistes gastronomiques qui ont un peu de bouteille, j’ai naturellement bien connu Paul Bocuse. Presque en « voisin » puisque mes parents vivent dans cette région lyonnaise où j’ai grandi. Je m’attendais, comme tout le monde à cette disparition en la redoutant comme on redoute les signes du temps qui passe. Et puis, pourquoi le cacher, jeune journaliste, j’ai eu une passion pour Paul Bocuse à qui je rendais visite régulièrement.
Il m’avait pris sous sa coupe dès notre première rencontre en 1986 et m’avait chaleureusement recommandé auprès des autres grands chefs de la région, auprès d’autres personnalités que je cherchais à interviewer pour le magazine Vins & Gastronomie puis plus tard, pour Lecoq Gourmand. Je ne vais pas écrire ici tous les moments forts que je lui dois. J’en citerais trois : Cette couverture de Vins & Gastronomie pour laquelle il avait accepté de prendre la pause déguisé en empereur romain à côté de Michel Troisgros et Bernard Loiseau. Les coups de fil qu’il me passait le dimanche soir pour me donner des nouvelles et commenter l’actualité en sachant que j’en ferai bonne usage. C’est bête à dire, mais j’étais fier de cette forme de confiance pourtant contraire à la déontologie qui doit guider chaque journaliste. Fier encore quand, à la demande d’Henry Chapier, j’ai pu organiser le tournage à Paris de l’émission Le Divan… Fier et même ému jusqu’à ma dernière visite à Collonges il y a déjà cinq ans où, bien qu’il soit déjà très affaibli par la maladie, j’avais pu évoquer quelques souvenirs… La larme à l’œil. Pour de vrai. Alors forcément, le premier mot qui me vient à l’esprit est celui que vous avez pu lire partout : c’est merci.
Merci pour la confiance, pour la complicité, la reconnaissance et ces repas aux allures de festins. Merci aussi pour avoir mis autant d’humanité dans cette relation, comme il l’a fait avec tant d’autres. Paul Bocuse ne savait pas faire semblant. Il a eu une vie fantastique faite de rencontres fantastiques avec les plus grands de ce monde comme avec les plus modestes. Il s’est amusé et s’il a parfois été vache c’est parce qu’il était déçu. Je suis heureux de savoir qu’il est parti doucement en préservant le respect qui lui était dû. C’est vraiment un grand monsieur qui vient de s’en aller, mais il n’est pas tout à fait parti puisque les valeurs qui étaient les siennes ne sont pas mortes, bien au contraire, elles sont l’avenir.
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