Par lecoqgourmand
Réalisée pour le magazine Nous CHRD, cette interview qui porte sur les bières artisanales intéressera les professionnels mais pas seulement. Auteur d’un livre particulièrement complet sur le sujet, les propos d’Elisabeth Pierre sont en mesure d’intéresser également tous les amateurs particulièrement bien placés pour inciter le monde de la restauration à développer une offre à la hauteur de leur attente.
Avec 1100 brasseries dont une grande majorité de brasseries artisanales –soit 33 fois plus qu’il y a 30 ans- le monde de la bière en France a vécu une révolution historique qui change le regard que portent désormais les consommateurs sur cette boisson. Pour aider les restaurateurs à adapter leur offre en conséquence, Elisabeth Pierre vient de publier chez Hachette « Choisir et acheter sa bière en 7 secondes », un guide indispensable où l’association mets et bières est au cœur du sujet.
Nous CHRD – Pourquoi votre livre s’adresse aux restaurateurs ?
Elisabeth Pierre – Au-delà du principe qui invite le à choisir et acheter sa bière en 7 secondes, ils vont retrouver dans ce guide l’essentiel des styles et des goûts des bières. C’est un petit peu ambitieux, car une encyclopédie ne suffirait pas à être exhaustif sur le sujet, mais avec les clés que je donne permettent de comprendre comment se présente le monde de la bière aujourd’hui, les principales familles de bière qui sont encore si difficiles à appréhender.
Nous CHRD – C’est ce que l’on appelle le « style » de bière…
E.P – C’est ça. Un style c’est la combinaison d’un lieu, d’une époque, d’un savoir-faire, d’un environnement au niveau technique mais aussi au niveau des connaissances. Un des exemples de style c’est la Pils que les gens ont un peu tendance à dénigrer en pensant que ce sont des bières de soif… Mais ça n’est pas du tout ça. C’est d’abord une histoire qui a débuté en 1842 lorsqu’un créateur de génie qui avait crapahuté un peu partout en Angleterre et chez les brasseurs bavarois a été appelé par des brasseurs tchèques pour essayer de travailler sur l’émergence d’une bière blonde et limpide. Il a donc commencé à faire des essais avec les malts de l’époque – des malts bohémiens- et l’eau de pilsen qui est une eau très douce et, avec son savoir-faire, il a mis au point la première bière blonde et transparente de fermentation basse. Au gout, c’est un équilibre entre le malt et le houblon avec des notes très herbacées. Un style, c’est donc une recette. Si vous disposez des bons ingrédients vous pouvez la reproduire où vous le voulez.
Nous CHRD – Quels sont les principaux éléments de comparaison d’un style de bière à l’autre ?
E.P – Je défini précisément ces critères dans mon livre, mais pour résumer il faut retenir que l’on va évaluer la douceur –le côté malté- ou l’amertume –le coté houblonné- et noter ce qui domine. C’est soit l’un, soit l’autre, soit un équilibre entre les deux. On va également s’intéresser à la puissance de la bière qui peut être légère ou forte en alcool… Viennent enfin d’autres qualités comme l’acidité et plein d’autres saveurs dominantes. On pourra parler ensuite de techniques brassicoles. Mais je crois qu’il est plus efficace de parler de bière en parlant de goût.
Nous CHRD – Un style de bière peut se reproduire n’importe où : est-ce que la notion de terroir est inexistante ?
E.P- Non. Elle peut jouer, moins sur les céréales qui sont plus ou moins maltées, mais assurément sur les houblons que l’on peut comparer à un cépage puisque leur profil dépend d’un terroir et d’un climat. Et l’on s’en rend compte lorsque des brasseurs décident d’appliquer à une même recette de base un houblon différent.
Nous CHRD – Cela fait des années que vous militez pour la bière au restaurant, pourquoi pensez-vous que c’est plus que jamais la boisson des chefs ?
E.P- Parce que l’on découvre une palette de goûts qui est très différente de que ce qu’il existait avant. Même si cela commence à changer, il est dommage de constater qu’une grande majorité de restaurateur est restée sur le même niveau de connaissance qu’il y a 15 ou 20 ans. La bière est encore trop souvent réduite à une boisson de soif et l’on pense à tort qu’elles ont toutes plus ou moins le même gout. On est vraiment passé à autre chose.
Nous CHRD – Peut-on parler d’un phénomène de génération ?
E.P -C’est clair. A la base, cette révolution vient des brasseurs amateurs aux Etats-Unis. C’est une révolution qualitative et profonde qui a gagné la France et ça n’est pas qu’une mode : tous les nouveaux brasseurs ne sont pas issus du milieu urbain. C’est plus une culture de cuisine qu’autre chose. De plus en plus les brasseurs parlent de leur bière comme les cuisiniers parlent de leur recette et ils ont une approche très intuitive. On est à des années lumières des bières standardisées. Je parle des naturellement des bières artisanales qui sont le plus souvent des bières locales.
Nous CHRD – A quels types de bières faut-il s’intéresser ?
E.P- Avant de s’intéresser au style et donc au goût, je crois que les restaurateurs doivent regarder autour d’eux. On trouve partout des brasseries implantées localement. Il faut les visiter. Chez ces brasseurs, il y en a forcément un dont la production va vous parler plus qu’une autre. Il faut donc commencer par goûter pour trouver la ou les bières vont s’adapter à votre style de cuisine. Les professionnels trouveront forcément des adéquations immédiates entre les bières et les plats qu’ils proposent dans leur restaurant. Et ils se sentiront à l’aise dans cet environnement qui est celui de l’artisanat. Tout mon parcours a consisté à faire le lien entre les chefs et les brasseurs qui ne savent pas toujours parler de leur production…
Nous CHRD – Admettons qu’un restaurateur inscrive 3 ou 4 bières locales sur sa carte : comment faire pour que leurs clients y prêtent attention ?
E.P – S’il y a 3 ou 4 bières locales sur une carte, il ne faut pas se contenter de dire qu’elles sont brassées à proximité, il faut pouvoir les décrire. Savoir en parler. Je donne les premiers arguments dans mon livre et comme nous sommes sur des notions de recettes, les restaurateurs n’ont aucune difficulté à se familiariser avec cet univers. Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, je propose deux formations spécifiques, une première initiatique et la deuxième sur l’association mets et bières.
Nous CHRD – Quels bénéfices peuvent attendre les restaurateurs qui vont intégrer les bières artisanales sur leur carte ?
E.P – Plus que d’être dans la tendance, ils vont apporter une réponse à la clientèle qui demande à être étonnée, à vivre de nouvelles expériences. La grande majorité des chefs qui se sont intéressés aux bières locales ont d’excellents retours… Et puis il faut parler de marge. Elle est supérieure à celle du vin : une bouteille de 33 cl –suffisante pour largement accompagner un plat- va se vendre au minimum 6 € et la majorité des restaurants gastronomiques la propose à 10 €. L’autre avantage, c’est qu’il s’agit d’une boisson moins alcoolisée que le vin : les clients peuvent davantage se faire plaisir.
Nous CHRD – Quelques recommandations ?
E.P – Il faut soigner le service de la bière et commencer par la verser dans des verres à pied. Certaines bouteilles profitent d’un design valorisant et on peut les laisser sur table sans problème, mais je milite aussi depuis des années pour les bouteilles de 75cl qui sont beaucoup plus conviviales et peuvent être disposées dans un seau sur une desserte. On peut également proposer des associations plats et bières sur la base de verre de 12 cl. Pour les accords, la bière offre un éventail plus vaste que le vin… Ce n’est pas mieux ou moins bien, c’est simplement qu’il y a plus de possibilités de saveurs et d’arômes dans la bière.
Nous CHRD – Par exemple ?
E.P – Une bière très torréfiée plus ou moins alcoolisée comme une Stout ou une Imperial Stout peut très bien aller avec un fromage à croûte fleurie. Mais si l’on commence par le commencement on proposera à l’apéritif une bière douce et rafraichissante comme une Pale Ale qui est une bière blonde avec des arômes qui peuvent très fruités ou très floraux. Avec les poissons, tout dépendra s’ils sont grillés ou accompagnés d’une sauce. Grillés ils s’associeront avec une bière sur l’acidité, comme une bière de blé ou bière blanche. Avec une sauce, c’est-à-dire avec un peu de gras, il faudra choisir une bière sur l’amertume comme une bière élevée en barrique de vin blanc qui fait partie de ces nouvelles bières idéales pour la restauration. Pour les viandes rouges cuites on ira sur une bière torréfiée de type Porter que l’on appelle communément bière brune en France. Le choix sera différent si on opte pour une viande en sauce comme un lapin à la moutarde. Les possibilités ici sont multiples et plus complexes. Il faudra choisir une bière plus houblonnée et torréfiée comme une India Stout. Mon guide propose un index des styles et des recettes qui permet de trouver en quelques secondes quels types de bière convient à chaque plat. Il faut retenir qu’il n’y a pas un plat qui ne trouvera pas sa bière.
Propos recueillis par Bruno Lecoq
Bières : vers un style français ?
Pour Elisabeth Pierre, la production française actuelle est marquée par trois tendances fortes. La première consiste à produire des bières richement houblonnées que ce soit des Lagers ou des Ales, la deuxième consiste à faire des bières acides – une tendance forte dans le sillage de la Berliner- et la troisième est celle des bières élevées en barrique. Là encore, le phénomène est parti des Etats-Unis où ce sont principalement des barriques ayant contenues du Bourbon ou Whisky qui ont été choisies par les brasseurs, mais la France étant le pays du vin – les barriques sont plus faciles à trouver- nos artisans brasseurs semblent avoir trouvé un point de différenciation intéressant. Il est d’autant plus intéressant que le bois va réellement apporter quelque chose de différent à la bière, en jouant sur l’acidité ou sur la rondeur du produit final (vanille) mais aussi en lui insufflant des notes de fruits rouges par exemple, qui modifient réellement le goût de la bière élevée en barrique.
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